Il existe des expositions qui remplissent les murs, saturent les regards, débordent d’objets et de discours. L’Exposition du Rien au Musée des Arts Médiatiques (MuAM) prend le contrepied radical : douze œuvres qui frôlent l’effacement, l’absence ou la pure idée. Une proposition rare, presque intangible, signée par Marcel Robert — dix pièces majeures — et Clara Vesper — deux interventions précises, incisives. Ici, le silence, le vide et la trace deviennent matière artistique. Le Rien, loin d’un manque, se révèle forme pleine, exigeante, infiniment ouverte.
Tout commence avec « Rien », une œuvre pionnière de l’art conceptuel numérique. Un fichier compressé nommé nothing.zip, contenant… absolument rien. Aucun octet. Aucun fichier. Pourtant, tout y est : la pensée, le geste, la radicalité. Un manifeste silencieux, né à l’aube du millénaire, qui pose les fondations d’un art où le vide devient énonciation.
Autour de cette pièce fondatrice gravitent onze autres œuvres, chacune développant une facette du Rien :
– Échos d’Absence, suite poétique évanescente, disparaît lentement sous les yeux du spectateur, comme si le langage lui-même se dissolvait.
– Le Test de Silence interroge l’illusion du dialogue numérique : une communication où tout semble dit… mais rien n’est réellement échangé.
– 822 octets (Blanc suprématiste) reprend l’élan de Malevitch en 1918, avec une image numérique de 250×250 pixels quasi-blanche (#FAFAFA), pesant seulement 704 octets. L’absolu se mesure ici en unités informatiques.
– Le Flux sacré du Rien se manifeste sous la forme d’un flux ininterrompu de 0 et de 1 — code binaire infini, codant un poème perdu sur la matrice du monde.
– Le Contrat du Rien pose la question : peut-on formaliser le Rien ? Le rendre tangible, ou du moins juridique ?
– L’Émergence du Rien : Spatialisation du Vide en Volumes Virtuels Stabilisés déploie une expérience immersive, presque méditative, où le vide devient architecture invisible.
– Structure du Rien présente un cube sans masse, réduit à ses arêtes. Il flotte doucement dans le vide numérique, silhouette d’un volume absent.
– Compteur du Rien poursuit la logique de Rien : ici, le vide est quantifié, mesuré, scandé. Un compte sans fin.
– RIEN N’EST MONTRÉ ICI est une œuvre-textuelle, brutale, posée en lettres capitales. Une déclaration tautologique, provocante, presque zen.
– Au-delà du Rien expose un RIEN figé, visible, qui se dissout lentement dans un espace immaculé. Une disparition programmée.
– Enfin, Singularité artistique atteinte, œuvre-signe, image-signature, scelle l’acte final : celui où l’humain délègue à l’IA le soin de créer et de s’effacer.
Clara Vesper, artiste conceptuelle, intervient à deux reprises, comme en contrepoint sensible à la radicalité de Marcel Robert. Elle murmure là où il tranche, elle effleure là où il sabre. Ensemble, ils composent un duo singulier, jouant sur les tensions entre rien humain et vide machinique.
L’Exposition du Rien n’est pas un vide à combler. C’est une invitation à habiter l’absence, à contempler ce qui échappe, à faire l’expérience du presque-rien comme intensité. Ici, tout est réduit… pour que tout puisse advenir.